Schéma départemental d’irrigation de l’Hérault : 0.2% du budget pour les pratiques alternatives

Le Schéma départemental d’irrigation de l’Hérault présente de nombreuses carences : une évaluation socio-économique biaisée, une absence de stratégie d’économies d’eau, un surdimensionnement des prélèvements, un manque de transparence sur les méthodes d’estimations, pas d’analyse environnementale, une absence de présentation des alternatives à l’irrigation.

Il peut être téléchargé ici : http://www.herault.fr/sites/default/files/document-lies/schema_irrigation_bd.pdf

Un diagnostic écrit par la FNSEA ?

Le diagnostic de départ (pp 4-6) ne distingue pas sécheresses météorologiques, agronomiques ou hydrologiques (uniquement agronomique) ce qui révèle d’emblée un parti-pris éloigné d’une réflexion objective basée sur un minimum de considérations scientifiques. Il part du postulat populiste que face au manque d’eau lié au changement climatique et aux prélèvements excessifs, il n’y a qu’à « créer des ressources nouvelles ». Ce raisonnement simpliste est totalement contraire à la logique de substitution demandée par l’instruction ministérielle de mai 2019. Pas un mot dans ce chapitre introductif sur les alternatives agro-écologiques, sobres en eau. L’irrigation est présentée comme la seule et unique condition de survie de l’agriculture. Pour le département de l’Hérault il n’y a donc qu’un seul et unique « scénario 2030 » : business as usual.

Il faut noter que le schéma d’irrigation de la Communauté de Communes du Grand Pic Saint Loup est exclu du schéma départemental, qui est donc lacunaire, puisqu’il exclut une partie du département.

Une gouvernance fermée aux organisations environnementales

Le Comité de Pilotage (p.7) est composé de la DDTM34, la DREAL, l’Agence de l’Eau RM, la Région, BRL, la chambre d’agriculture, la fédération des ASA, la fédération des caves coopératives, le syndicat des vignerons indépendants, les Syndicats Mixtes de Bassins Versants. Le Comité Technique est composé de techniciens des structures et de l’IRSTEA. Les associations environnementales n’ont été ni invitées ni consultées, et par conséquent, elles ont été mises devant le fait accompli. Comme dans de nombreux autres dossiers de ce type en France, cette vieille tradition ne leur laisse le choix que d’agir a posteriori.

Des chiffres à faire connaître

Globalement 66 550 ha sont actuellement équipés pour l’irrigation (p.16). La surface irriguée (déclaratif) est de 34500 ha (soit 18 % de la SAU) (p.17). Première conclusion : il reste un gros potentiel d’optimisation du réseau existant qui n’est pas utilisé. L’étude des besoins, déjà réalisée dans les études « volumes prélevables » a été « consolidée » à dire d’irrigants ce qui laisse soupçonner une forte sur-estimation, qui se confirme dans la suite du document. Au total 42 067 ha de « besoins » ont ainsi été déclarés, dont 84% en vigne, dont 84% en zones de coteaux (techniquement compliqué pour irriguer). L’étude ne précise pas la différence entre les résultats des études « volumes prélevables » déjà réalisées, et cette nouvelle étude départementale « à dire d’irrigants », sauf pour le Bassin Versant de l’Hérault, où il confirme une forte augmentation des déclarations par rapport à l’étude Volume Prélevable faite quelques mois plus tôt… (p.23)

Les besoin d’irrigation déclarés en hectares sont convertis en mètres cubes d’eau par une formule mathématique très grossière, qui relève de choix non justifiés dans le document, et que nous considérons donc comme arbitraires. Aucune différenciation n’est faite, notamment, selon le type de cépage. Les besoins sont calculés sur une année quinquennale sèche, les rendements des réseaux sont supposés de 90%, et l’impact du changement climatique estimé à 15% (p.26).

L’estimation du gain économique pour la viticulture est de 300 à 950 €/ha. On notera que « seule l’amélioration des rendements est considérée » (p.28) et l’avertissement « des explorations complémentaires sur ces aspects essentiels seront nécessaires au moment des phases projets afin d’améliorer la justification de l’intérêt économique ». Il s’agit donc d’engager d’importantes sommes d’argent public (310 millions) sur des bases économiques très peu solides.

Les besoins déclarés font l’objet d’un tri : sur les 42067 ha de « besoins »,

  • 7 293 ha sont – heureusement – exclus d’office (p.ex. des projets d’irrigation de prairies…),
  • 12 297 ha sont « à vérifier » ou « sans solution collective » ou situés sur la CC GPSL ;

restent 22 477 ha devant faire l’objet d’une recherche de solution dont :

  • 12 477 ha peuvent faire l’objet d’une optimisation de la ressource actuelle (réseaux d’irrigation à créer) ;
  • 10 000 ha n’ont pas de possibilité d’irrigation dans la situation actuelle.

Le schéma propose de « créer la ressource » pour 5200 ha à partir de retenues « hors cours d’eau biologiques ».

Des projets très hypothétiques et peu cohérents

En réalité, dans la liste des projets de retenues (p.34) on constate que 3 projets de retenues sont des barrages sur cours d’eau biologique :

  1. Pouzolles avec la mention « cours d’eau biologique à déclasser »
  2. Villespassans avec la mention « cours d’eau biologique à déclasser » + Natura 2000 ZPS Minervois,
  3. La Caunette avec la mention « cours d’eau biologique à déclasser » + Natura 2000 + déboisement

Par ailleurs, 2 projets sont des retenues collinaires en N2000 ou en zone boisée :

  1. Fontes: zone Natura 2000 ZPS Salagou,
  2. Caussiniojouls, déboisement.

Concernant « l’absence de Zones Humides » systématiquement avancée, pour le bassin versant de l’Hérault l’inventaire des zones humides est encore en cours… Quelques éléments à titre indicatif existent mais seuls 50% du potentiel estimé a pu être effectivement prospecté (soit 1133 ha sur 2256), et a été confirmé à 94%. Il reste probablement encore bcp de Zones Humides non cartographiées, ce qui ne dispense pas de respecter les réglementations relatives aux zones humides.

Concernant l’analyse environnementale, le document ne fait que renvoyer (p.35) aux « exigeantes règlementations en vigueur en matière d’environnement » et à d’hypothétiques futures « concertations locales avec l’ensemble des usagers et des acteurs ».

Une analyse économique qui devrait questionner le contribuable

L’analyse économique (p 44) nous indique que tout inclus seuls 18 projets proposés par le monde agricole ont une plus-value nette positive estimée sur 55, incluant un taux de subvention de 80%, et seulement 10 projets sur 55 avec un taux de subvention de 60%, ce qui confirme la faible rentabilité de ce genre d’opération, même avec 80% d’injection de fonds publics.

On notera (p.48) qu’in fine la superficie irriguée atteindrait au maximum 30 % de la SAU contre 18% aujourd’hui pour un coût d’investissement socialisé estimé de 11577 €/ha.

0,2% du budget pour la recherche d’alternatives à l’irrigation

L’orientation 4 « accompagner une agriculture résiliente » est à peine mentionnée dans le schéma et seulement développée en annexe. On appréciera au passage la précision : pour une agriculture « résiliente notamment en dehors des zones irrigables » (p. 47) qui nous rappelle que cette orientation est la seule mesure du schéma consacrée aux 70% des terres qui resteront quoi qu’il arrive non irrigables à l’issue de l’opération, si elle aboutit. L’orientation 4 inclut l’expérimentation sur des pratiques culturales alternatives et sur le travail du sol, la couverture végétale et l’augmentation de la matière organique dans le sol, l’expérimentation de cépages résistants ; nous nous en félicitons car ce sont effectivement des alternatives sérieuses, qui font déjà leurs preuves, et que nous prônons, mais le budget alloué est ridicule : 600 000€ sur 310 M€ soit 0.2% du budget.

Et si on exploitait encore plus les ressources souterraines ?

Il est tout à fait remarquable que cette orientation 4 inclue également la « recherche de nouvelles ressources en eau permettant directement ou indirectement d’augmenter les capacités d’irrigation sur un secteur de besoins comme par exemple : des ressources potables souterraines susceptibles de soulager des volumes disponibles en surface pour l’irrigation, ou encore le stockage souterrain de réserves hivernales » (500 000€ alloués p.48) ; plus loin on peut également lire que : « Le Département engagera la caractérisation de nouvelles ressources en milieu souterrain. »

Pour France Nature Environnement, vouloir augmenter l’irrigation, pour diminuer la sécheresse agronomique, alors qu’on manque d’eau (sécheresse hydrologique) n’a rien d’une solution durable.

L’apport pérenne d’eau du Rhône, lui-même, pose déjà question étant donné l’impact du changement climatique sur les glaciers et le climat alpins, avec  des étiages du Rhône déjà à -25/-30% par rapport aux étiages moyens des années 70, et des étiages à – 40% et plus annoncés dans le futur. Nous ne sommes pas les seuls à prélever sur le Rhône…

Arrive maintenant cette idée de stocker les abondantes pluies automnales/hivernales… Si elle peut paraître à première vue séduisante, comme toutes les idées simplistes, elle peut avoir des implications environnementales : sur les continuités écologiques, sur les zones humides, sur le transit sédimentaire, sur la température de l’eau et les taux d’oxygène, donc sur la vie, sur les débits biologiques, sur les espèces invasives, sur l’aggravation des sécheresses hydrologique en aval. Qui peut par ailleurs croire que les barrages ne capteront que les eaux hivernales ? FNE passe son temps dans les tribunaux pour essayer de faire respecter le maintien des débits réservés, et c’est une bataille qui n’a pas de fin… Tout cela est sans compter les effets de l’irrigation et du modèle intensif qui va avec sur les sols. Les exemples de la Tunisie et de l’Espagne sont très éclairants à ce titre. 

Mais surtout, les barrages sont une fausse solution parce qu’ils incitent à ne pas changer de modèle agricole, et à consommer toujours plus d’eau. C’est la politique de l’offre. Elle ne crée pas de résilience, bien au contraire, elle crée plus de vulnérabilité à moyen terme. Elle crée une illusion de sécurité à court terme, un sentiment d’opulence, et elle ralentit (ne serait-ce que pas son coût pour la société tout entière) le développement des alternatives sobres en eau. C’est un cercle vicieux dans lequel les élus héraultais ne devraient pas s’enferrer. Viser 30 % d’irrigation est énorme !

Plus encore, ce qui devrait nous interroger en tant que contribuables, c’est l’investissement de sommes aussi considérables d’argent public pour une minorité d’irrigants, créant une distorsion de concurrence forte avec les 70% de terres qui resteront non irriguées.

Dans ce département comme ailleurs, il existe de nombreux viticulteurs qui ne comptent pas sur l’irrigation (et qui ne doivent de toutes façons pas compter dessus) pour leur avenir. Nous devons diversifier les cultures, changer de cépages, développer l’enherbement et la couverture du sol partout où c’est possible, développer l’agroforesterie, restaurer la vie des sols, restaurer les espaces de bon fonctionnement des cours d’eau, préserver les éléments du paysage qui freinent le ruissellement des eaux et qui ont totalement disparu de certaines zones de monoculture viticole, et soutenir le maintien d’une culture pastorale.

Avec ses 0,2% du budget consacrés à la recherche de pratiques alternatives, le schéma d’irrigation du département de l’Hérault est la caricature absolue de ce que le mouvement France Nature Environnement ne peut plus accepter aujourd’hui.

Simon Popy

président de France Nature Environnement Languedoc-Roussillon

Simon Popy

Président de FNE OCMED