Le Tribunal Administratif impose au Préfet de l’Aude de revoir les mesures de lutte contre la pollution de l’eau par les pesticides

Sur demande de FNE LR et ECCLA, le tribunal administratif de Montpellier impose au Préfet de l’Aude de compléter son arrêté du 7 juillet 2017 définissant les « points d’eau » à proximité desquels l’utilisation de pesticides est interdite. Ce dossier illustre l’emprise du lobby de l’agrochimie alors que l’Aude connaît une importante pollution des milieux aquatiques par les pesticides.

Les « Zones de Non-Traitement » aux pesticides près des cours d’eau, un combat de 20 ans

L’utilisation des pesticides à proximité des milieux aquatiques est réglementée depuis longtemps. Dès 2006, un arrêté interministériel instaurait des bandes non traitées le long des « cours d’eau, plans d’eau, fossés et points d’eau permanents ou intermittents ».
Toutefois, par une décision du 6 juillet 2016 rendue sur demande du « Syndicat Pommes Poires », le Conseil d’État déclarait illégal cet arrêté au motif qu’il n’avait pas été transmis à la Commission Européenne pour information. Suite à cela un nouvel arrêté interministériel du 4 mai 2017 demandait aux préfets de départements de désigner les « points d’eau » le long desquels l’utilisation de pesticides devait être interdite.
C’est dans ce cadre que le préfet de l’Aude est intervenu par un arrêté du 7 juillet 2017.

L’arrêté de l’Aude, un cas d’école de régression de la réglementation environnementale

À la lecture de l’arrêté du 7 juillet 2017, les associations ont constaté que le préfet de l’Aude a gravement réduit la protection des milieux aquatiques : alors que l’arrêté interministériel de 2006 permettait la protection de 18 000 km de réseau hydrographique dans l’Aude, l’arrêté de 2017 protège à peine 6 000 km. Dans le vignoble audois, où l’utilisation de pesticides est majoritaire, 60 % du linéaire hydrographique mentionné sur les cartes IGN n’est plus protégé  ! 

Pendant ce temps, les milieux aquatiques audois sont pollués par les pesticides

Cette régression de la protection des milieux aquatiques apparaît d’autant plus injustifiée que les rivières audoises souffrent d’une importante pollution aux produits phytopharmaceutiques. Certains bassins hydrographiques du département présentent des teneurs significatives en pesticides selon les dernières données publiées par le commissariat général au développement durable. En outre, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Rhône-Méditerranée 2016-2021 identifie l’Aude comme nécessitant des actions pour réduire la pollution aux pesticides. Il désigne également sur ce département plusieurs masses d’eaux souterraines affleurantes importantes pour l’alimentation en eau potable et nécessitant des mesures de lutte contre la pollution par les pesticides. Enfin, il désigne 9 captages prioritaires destinés à la production d’eau potable pour la consommation humaine qui présentent une pollution par les pesticides.

Le juge comme dernier moyen de faire valoir l’intérêt général et la santé publique

Face à ces constats, FNE LR et ECCLA ont demandé au Préfet de bien vouloir compléter son arrêté en prenant en compte la totalité du réseau hydrographique audois. Le Préfet n’ayant pas cru utile de répondre à la demande des associations, celles-ci ont saisi le Tribunal Administratif de Montpellier. Par un jugement du 5 novembre, le juge a donné raison aux associations en enjoignant au Préfet de compléter son arrêté dans un délai de 3 mois « en vue d’inclure dans la définition des points d’eau, les éléments manquants du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l’Institut Géographique National, conformément aux dispositions de l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 ». 

Il n’existe pas de « petits points d’eau » ou de « ruisseau à sec l’été » qu’il serait possible de polluer sans conséquence pour le reste du réseau. Le moindre ruisseau finit par rejoindre une rivière, puis un fleuve et enfin la mer. Protéger ce réseau des pollutions, c’est donc protéger les 18.000 km d’écoulements répertoriés dans l’Aude.

Maryse Arditi

présidente d'ECCLA

Alors que la population se préoccupe de l’impact des pesticides sur la santé, que le Conseil d’État a jugé qu’il convenait de réglementer l’usage des pesticides à proximité des habitations, que les effets sur la faune sauvage sont de plus en plus documentés, ce dossier témoigne du zèle de certains préfets pour plaire à certains syndicats agricoles, au détriment de toute considération environnementale.
Suite à ce jugement, on peut s’interroger : pourquoi les ministres ont-ils confié aux Préfets la responsabilité de définir les « points d’eau » ? Il y a manifestement une incohérence entre l’intention politique et le sens actuel du droit de l’environnement, qui ne saurait être « à la carte », et soumis aux pressions locales. Pour nous, c’est une illustration de la puissance du lobby de l’agrochimie qui ne cesse ses coups de boutoir pour mettre en échec toute réglementation de l’usage des pesticides. Les moyens dont ils disposent et le niveau d’écoute dont ils bénéficient sont malheureusement totalement disproportionnés comparés aux nôtres.
En conclusion, si vous voulez que ça change, ne désespérez pas, même face à des lobbys aussi puissants ou ceux qui les servent. Soutenez ceux qui se battent et surtout ne vous laissez pas enfumer.

Simon Popy

président de France Nature Environnement Languedoc-Roussillon et signataire de l'appel des 100

 

Figure 1 : Illustration de la réduction opérée en passant d’une référence au réseau hydrographique IGN, à la « cartographie police de l’eau de l’Aude »

Figure 2 : Dans le vignoble audois (~120 000 ha en vert), doivent être réintégrés tous les cours d’eau figurés en rouge qui avaient été exclus.

 

Figure 3 : Pour en savoir plus, voir notre mini-guide sur les pesticides