Réponse de FNE LR à la consultation publique sur l’avenant prolongeant le contrat de la concession du fleuve Rhône

La participation de FNE Languedoc Roussillon à la consultation publique sur l’avenant prolongeant le contrat de la concession Rhône porte sur deux sujets qui concernent plus particulièrement les territoires languedociens : le transit sédimentaire du Rhône et l’irrigation agricole. Les réponses du ministère de l’environnement et de la CNR lors de la consultation préalable en 2019 ainsi que le mémoire en réponse de l’État à l’avis de l’Autorité environnementale sont loin d’avoir levé les doutes sur la capacité qu’aura la CNR à traiter correctement ces sujets pendant les années de prolongation de la concession.

Sur les sujets autres que le transit sédimentaire et l’irrigation agricole, FNE Languedoc Roussillon s’aligne sur la contribution écrite de FNE Auvergne-Rhône-Alpes disponible ici.

Le transit sédimentaire

L’extraction massive de graviers et galets dans le lit mineur du fleuve jusqu’en 1994, les tronçons court-circuités, les retenues endiguées, les seuils et les barrages ont provoqué un déficit du transit sédimentaire tout le long du fleuve entraînant des modifications hydro-morphologiques préjudiciables à son bon fonctionnement écologique. Mais ce n’est pas tout. Les apports de sédiments à la mer ont été divisés par 5 en un siècle ; c’est la cause principale du recul du trait de côte qui affecte le littoral méditerranéen depuis la Camargue jusqu’aux Pyrénées-Orientales. Par endroit, la côte sableuse recule de 3 à 4 mètres par an. Et la situation ne peut que s’aggraver avec la montée du niveau de la mer liée au changement climatique, si rien n’est fait d’ici là.

Qu’est-ce qui sera fait dans le cadre de la prolongation de la concession Rhône pour améliorer le transit sédimentaire et par là même réduire les impacts du recul du trait de côte sur les biens et les personnes ? Pas grand-chose semble-t-il. À la différence de la continuité piscicole, la continuité sédimentaire n’est quasiment pas abordée dans le mémoire en réponse de l’État à l’avis de l’Autorité environnementale. La CNR réalise actuellement les opérations de dragage des sédiments dans le chenal de navigation et en amont des barrages conformément au SDAGE et à l’arrêté du 30 mai 2008 sur les opérations d’entretien des cours d’eau et canaux. La CNR est fortement incitée à réinjecter les sédiments dragués en aval. Mais à quelles fréquences la CNR effectue ces opérations de dragage et en fonction de quelques critères ? Environnement, navigation fluviale ou production hydroélectrique ? Qui le sait et qui demande à la CNR d’en rendre compte ? Le Schéma directeur de gestion sédimentaire du Rhône qui est censé fixer des objectifs clairs n’est toujours pas publié. La CNR a été le maître d’œuvre de l’étude préalable de ce schéma directeur ; il y a donc peu de chances que le schéma directeur contraigne la CNR à une gestion plus vertueuse des sédiments.

L’irrigation agricole

Fournir de l’eau du Rhône pour l’irrigation agricole est une des 3 missions historiques de la concession Rhône. Les prélèvements d’eau pour l’irrigation agricole font de cette dernière le principal consommateur d’eau du Rhône. Des transferts d’eau inter-bassin ont été mis en place au fil du temps pour irriguer mais aussi alimenter en eau potable et faire du soutien d’étiage dans des territoires parfois très éloignés de la vallée du Rhône : le canal de la Durance détourne une bonne partie de cet affluent du Rhône vers l’étang de Berre ; l’eau du Rhône alimente la Provence via le canal de Provence et le Gard, l’Hérault et l’Aude via le canal Bas-Rhône-Languedoc.

Les prélèvements pour l’irrigation agricole sont les principaux responsables du déficit quantitatif de certaines masses d’eau superficielles et souterraines constaté ces dernières années sur le bassin. Plusieurs études commanditées par l’agence de l’eau RMC indiquent que le changement climatique va réduire de manière significative le débit moyen et le débit d’étiage du Rhône à l’horizon 2050. La priorité devrait donc être les économies d’eau et non pas le développement de l’irrigation agricole. Pourtant l’État et la CNR continuent d’affirmer que l’eau du Rhône est une ressource abondante qui doit être utilisée pour « sécuriser » la production agricole en période de sécheresse.

Chaque nouveau projet d’irrigation (extension d’un périmètre irrigué existant, création d’un nouveau périmètre irrigué, ou substitution dans un périmètre irrigué existant d’une ressource en eau par une autre subissant moins de tensions) doit être intégré dans un projet de territoire de gestion des eaux (PTGE). C’est donc sans surprise que le volet irrigation de la prolongation du contrat de la concession Rhône énonce certains principes présents dans la réglementation des PTGE : innovations technologiques permettant une irrigation plus efficace et économe en eau, priorité à l’irrigation de cultures utilisant peu ou pas d’intrants afin de pousser à la transition agroécologique, substitution pour alléger la tension sur une ressource en eau plutôt que ressource en eau supplémentaire… Mais qu’en est-il concrètement sur le terrain ? L’exemple de l’irrigation en Espagne montre que plus les innovations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle la ressource en eau est employée plus la consommation totale de la ressource en eau peut augmenter au lieu de diminuer (paradoxe de Jevons). La priorité à l’irrigation de cultures utilisant peu ou pas d’intrants dépend du rapport de forces au sein des instances décisionnelles de chaque PTGE, et ce rapport de forces est rarement favorable à l’agriculture bio. Dans l’Hérault, l’eau du Rhône irrigue majoritairement la vigne dont une part très réduite est passée en bio et ce sera aussi le cas pour les nouveaux projets d’irrigation en cours de discussion. Comment dans ces conditions croire à un développement de l’irrigation favorable à la transition agroécologique ? L’agriculture industrielle irriguée repoussera toujours à plus tard la transition agroécologique. Enfin, les réserves de substitution n’ont pas tous les mêmes impacts sur les milieux selon leur type et sont souvent synonymes d’usage peu efficace en eau à cause de la forte évaporation qu’elles peuvent engendrer. Comment la CNR se positionnera sur tous ces sujets sachant qu’il y a plusieurs élus de collectivités territoriales dans son conseil d’administration qui souhaitent que soit privilégié le développement économique de l’agriculture (y compris et surtout industrielle) quelles qu’en soient les conséquences pour le Rhône et et même pour la production d’eau potable ?