Communiqué: FNE LR gagne en justice et impose de laisser plus d’eau dans la Têt

A l’image de cet été/automne 2022, le réchauffement climatique confronte de plus en plus de territoires aux conséquences de sécheresses prolongées. Comme ailleurs, la gestion des usages de l’eau dans les Pyrénées-Orientales doit garantir le maintien d’un débit minimum vital pour les milieux aquatiques et les espèces qui en dépendent. Depuis 2017, nous contestons les dérogations qui ont été octroyées par l’État dans ce département, d’abord sur le Tech, puis sur la Têt. Par un jugement du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier donne raison à FNE LR et rappelle qu’en droit français les prélèvements d’eau pour les usages humains ne doivent pas remettre en cause le fonctionnement des écosystèmes aquatiques.

UN FLEUVE MENACÉ PAR LES PRÉLÈVEMENTS AGRICOLES

La Têt, plus long fleuve du département des Pyrénées-orientales, abrite plusieurs espèces emblématiques de poissons telles que la Truite Fario ou le Barbeau Méridional. Pour vivre, ces poissons ont besoin d’une quantité d’oxygène minimale et d’une température maximale qui n’est permise que lorsque le débit du fleuve est suffisant. En deçà de ces limites le risque de mortalité s’accroît rapidement.

Depuis 2010, le bassin versant de la Têt est identifié comme étant en « déséquilibre quantitatif ¹», car les prélèvements d’eau sont trop importants pour garantir un fonctionnement satisfaisant des écosystèmes. Depuis longtemps, l’eau de ce fleuve est en effet utilisée pour la culture de fruitiers ou le maraîchage (et bientôt la viticulture ?) grâce à l’irrigation gravitaire, assurée par l’aménagement de canaux le long du cours d’eau depuis le 12 ème siècle.

En 2011, le préfet de département a donc conduit une étude permettant de définir les débits minimums à maintenir dans le cours d’eau ainsi que les volumes pouvant être prélevés pour les usages humains.

UNE PART SUFFISANTE DE L’EAU DOIT ÊTRE RÉSERVÉE À LA NATURE

L’étude « volumes prélevables » avait conduit les services de l’État à identifier une portion du fleuve (7 km allant de l’aval du barrage de Vinça aux premiers retours d’eau des canaux d’irrigation²) comme étant « en situation préoccupante de déséquilibre structurel ».

Malgré ce constat, en 2017 le préfet décidait d’imposer aux différents canaux de ce tronçon le respect d’un débit minimum à maintenir dans le cours d’eau de seulement 0,6 m³/s, là où l’étude qu’il avait lui même commandée et pilotée avait conclu que ce débit minimum devait être 3 à 4 fois supérieur (soit 1,5 m³/s à 2,2 m³/s) pour assurer un fonctionnement écologique suffisant.

Depuis 2020, FNE LR contestait cette décision en justice pour que soit garanti le fonctionnement écologique des milieux aquatiques, en priorité, avant de répondre aux besoins d’irrigation agricole.

Aujourd’hui, le tribunal administratif donne raison à FNE LR en imposant, à compter du premier avril 2023, des débits minimums biologiques à une valeur supérieure à 1,5 m³/s toute l’année.

UNE AUTRE IRRIGATION EST POSSIBLE

Face au réchauffement climatique, nous n’acceptons pas que la vie des cours d’eau soit sacrifiée. Nous devons adapter nos activités et donc revoir certaines de nos pratiques d’irrigation. Concrètement, à court terme, cette décision appelle une reprise en main des canaux (travaux de modernisation, lutte contre les fuites, contrôle du respect des règles par les membres des ASA). A plus long terme, elle appelle une réflexion sur l’adaptation des cultures de la plaine du Roussillon aux changements climatiques.

Le droit de l’environnement prévoit qu’on laisse un minimum d’eau dans les rivières, pour leur survie. Ce minimum est déterminé sur une base scientifique, et non au doigt mouillé par les préfets en fonction des pressions locales. Dans les Pyrénées-Orientales, ces règles ont été bafouées et un fleuve n’étant pas à même de défendre ses droits devant un tribunal, c’est à nous, associations agréées pour la protection de la nature, qu’incombe cette responsabilité. C’est ce que nous avons fait avec succès, hier sur le Tech, aujourd’hui sur la Têt, là où nous rencontrons les situations les plus critiques.

Nous sommes parfaitement conscients que l’agriculture a besoin d’eau et rencontre des difficultés nouvelles. Néanmoins, nous avons également confiance dans la capacité de la profession agricole pour trouver des solutions, à l’instar d’autres territoires³, pour prélever moins d’eau, tout en maintenant voire développant l’irrigation de certaines cultures. Les dérogations accordées par la préfecture des Pyrénées-Orientales étaient une solution de facilité court-termiste. Elles ne pouvaient sérieusement perdurer et n’ont fait que retarder l’inéluctable. La situation dans laquelle nous sommes était totalement anticipable, on aurait pu en discuter, nous avons essayé, nous nous sommes heurtés à un mur. Ce qui est irresponsable, c’est d’avoir fait l’autruche pendant si longtemps pour faire l’économie des aménagements nécessaires au détriment de la nature.

Simon POPY

Président, FNE Languedoc Roussillon

(1) La résorption des déséquilibres quantitatifs en vue d’une gestion durable et équilibrée de la ressource en eau est un des objectifs prioritaires des SDAGE 2010-2015, 2016-2021 et 2022-2027. Les territoires en déséquilibre montrent une inadéquation entre les prélèvements et la disponibilité de la ressource.

(2) Une partie de l’eau prélevée par les canaux est restituée plus en aval. Les canaux concernés sur ce tronçon sont les canaux d’Ille, de Thuir, de Peu del Tarres, de Régleille, de Perpignan et de Millas-Nefiac. Les photos ci-dessous ont été prises sur le tronçon concerné (septembre 2020).

(3) A titre d’exemple, en Languedoc-Roussillon, l’ASA de GIGNAC (34) a mené une politique de modernisation de son système de distribution de l’eau de façon à en optimiser le rendement, notamment à travers la conversion du réseau de distribution gravitaire en réseau de conduites basse pression, qui a permis d’importantes économies d’eau.

PHOTO-REPORTAGE

Les photographies ci-dessous ont été prises en fin d’été 2020 de l’amont (barrage de Vinça) à l’aval (Millas) de la zone concernée par notre action. Elles sont réutilisables (propriété FNE LR).