Notre avis sur la Stratégie Nationale pour la Mer et le Littoral 2023-2029

Le 19 décembre dernier, plus de 190 États réunis à Montréal à l’occasion de la COP15(1), adoptaient un nouveau plan stratégique devant guider l’action internationale jusqu’en 2030 afin d’enrayer l’effondrement du vivant. Ces travaux sont notamment partis du constat qu’en 2019, environ 66% des milieux marins étaient “sévèrement altérés” par les activités humaines (2) . Parallèlement à ces conclusions, le GIEC (3) constatait que le niveau de la mer s’élevait à un rythme de plus en plus rapide et que l’absorption du CO2 , de l’azote et du soufre émis par notre consommation d’énergies fossiles et nos activités entraînait une acidification des eaux océaniques mettant en péril les capacités du phytoplancton à se renouveler (4) .

La France métropolitaine et ultramarine dispose de la deuxième Zone Économique Exclusive (ZEE) au monde et est au premier rang mondial pour la richesse de ses écosystèmes marins. Ce contexte oblige notre pays à une exemplarité de l’action publique visant à atténuer nos impacts et adapter nos pratiques au contexte du réchauffement climatique et de l’effondrement du vivant. Une vigilance toute particulière doit ainsi être portée au contenu de documents stratégiques d’orientation des politiques publiques maritimes et littorales françaises.

Document cadre de référence, la SNML est une stratégie de long terme qui s’articule autour de la transition écologique et de l’atteinte du Bon État Écologique (BEE) des masses d’eau, du développement de l’économie bleue et de la préservation d’un littoral attractif contribuant ainsi au rayonnement de la France à l’international. La nouvelle SNML 2023-2029 devra être adoptée durant cet été et inspirera notamment les prochains Documents Stratégiques de Façade (DSF). Par sa raison d’être, qui n’est pas celle du DSF, le projet de SNML ne représente qu’un cadre général de référence nationale définissant de grandes orientations mais ne constituant pas une réponse précise à chaque enjeu à l’échelle de chaque façade. Dans l’attente de sa déclinaison à l’échelle de la façade Méditerranée à travers le DSF, ce document “projet” appelle d’ores et déjà un certain nombre d’observations de la part de FNE Provence-Alpes Côte d’Azur et FNE Languedoc-Roussillon.

DES OBJECTIFS NON CHIFFRÉS ET NON ATTEINTS

Dans un premier temps, nous souhaitons rappeler les remarques formulées par le CEREMA dans son évaluation de la précédente SNML de 2017, auxquelles nous adhérons et que nous appelons à mieux être prises en compte dans le cadre de ce nouveau plan stratégique.

Parmi ces dernières figure l’absence d’objectifs chiffrés, occasion manquée pour ce document ayant vocation à avoir une vision intégrée des enjeux du maritime. Cette absence est d’autant plus regrettable que d’autres documents censés être intégrés à la SNML ont, eux, fixé plusieurs objectifs (40GW d’éolien offshore en 2050, 30% d’Aires Marines Protégées et 10% de Zones de Protection Forte en 2030, etc.).

De plus, il s’avère que la planification de l’espace maritime, principalement mise en œuvre à travers l’établissement de cartes de vocation découlant de la SNML, crée plus de conditions favorables au déploiement de l’éolien offshore et de l’aquaculture qu’à la protection et à la restauration du milieu marin.

Enfin, force est de constater qu’après 6 ans de mise en œuvre, seule une partie des objectifs stratégiques (principalement socio-économiques) de la SNML a été atteinte. Le bilan de ce document stratégique pâtit d’une transition écologique difficilement menée (densification de la population non maîtrisée, artificialisation des sols, balnéarisation des littoraux, très lente mise en sécurité des biens et des personnes face aux risques de submersion/érosion, etc.). En outre, l’avancée vers une atteinte du BEE des eaux et des milieux aquatiques a faiblement ou pas évolué depuis 2017 concernant certaines thématiques : la qualité des masses d’eau, les flux de nutriments et de polluants issus des bassins versants, l’état des populations halieutiques, le contrôle des espèces invasives etc. A noter qu’à la fin de ce premier cycle de la SNML, seulement 6% des habitats marins et côtiers étaient en bon état de conservation, amenant le CEREMA à souligner l’urgence ” de mettre en œuvre des mesures permettant d’atteindre le BEE des masses d’eau”.

Au regard de ces conclusions ainsi que des enjeux cités en introduction, la nouvelle ver- sion de la SNML aujourd’hui présentée ne permet pas de répondre à l’ambition que devrait avoir un tel document.

UNE URGENCE ÉCOLOGIQUE ET CLIMATIQUE QUI APPELLE DES CHOIX DE RAISON

Comme pour la SNML de 2017, l’absence de hiérarchisation des 11 axes et plus de 60 propositions présentées pour ce nouveau cycle ne confère pas à ce document la dimension stratégique qu’il prétend et doit avoir. Cela permettrait pourtant d’atteindre ce qui est rappelé en introduction : « Comme le reste du monde, la France sait qu’elle doit résolument agir contre le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et les sources de pollutions. Les rapports successifs du GIEC et de l’IPBES, et notamment le dernier rapport d’évaluation du GIEC du 28 février 2022 oblige à une action rapide. ».

En effet, au-delà d’être un axe isolé des 10 autres présentés, la lutte contre les changements climatiques et l’effondrement du vivant devrait être un axe central duquel devrait découler tous les autres dans un souci de compatibilité avec ce dernier. Dans cette optique, le Bon Etat Ecologique des milieux devrait être l’objectif supérieur à tout autre et conditionner les usages anthropiques (5). Ne pas prioriser cet enjeu central reviendrait à régler tout le reste (les 10 autres axes) par de vains
“bricolages” devenant obsolètes au fur et à mesure de leur mise en œuvre (6) .

Cette non-priorisation nous interroge sur la réelle prise de conscience par l’Administration et les Ministères des urgences écologiques qui s’imposent aujourd’hui à nous. Ayons le courage d’être lucides : certaines activités (à l’instar du ski en montagne) ne pourront pas / ne devront pas être maintenues ou encouragées.

CONCLUSION

La configuration particulière de la Méditerranée (7) en fait un espace unique où se cristallisent de nombreux enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Plus qu’ailleurs, cela appelle à une intégration conjointe des luttes contre les changements climatiques (et leur incidences) et pour arrêter l’effondrement du vivant. En outre,
la conjoncture actuelle (économique, climatique, sociale…) appelle à une redéfinition du concept sociétal de « développement », à interpréter impérativement plus en terme d’adaptation qu’en terme de croissance (8) . La SNML se doit de porter cette vision plus intégrée, globale et courageuse.

Compte tenu des arguments précédemment mentionnés, ce projet de document n’a selon nous pas cette ambition. Aussi nous demandons une refonte complète du
ce projet de SNML qui devra nous guider et nous inspirer jusqu’en 2029. Cette échéance est celle à partir de laquelle de très nombreux spécialistes considèrent qu’au- delà, si rien n’évolue avant, plus rien ne sera possible. A la satisfaction de cette demande, nous pourrons travailler alors sur ce nouveau projet de façon plus utile et efficace.

(1) 15 e conférence des parties de la Convention sur la Diversité Biologique – Kunming-Montréal

(2) Rapport 2019 de l’IPBES

(3) Rapport spécial du GIEC sur l’océan, la cryosphère et les changements climatiques, 25/09/2019

(4) Le phytoplancton dominé par des groupes d’algues à test de silice (Diatomées) et calcaire (Coccolithophoridés) sont à la base des réseaux trophiques et sont l’un des pourvoyeurs majeurs de l’oxygène que nous respirons

(5) Par exemple, si la contribution du monde maritime à l’adaptation de notre capacité énergétique est un axe important dans la future SNML, la programmation énergétique ne doit néanmoins pas compromettre les efforts de protection des milieux littoraux et marins

(6) Toute activité socio-économique de l’espace maritime et littoral ne peut être permise que par le maintien de conditions climatiques et biologiques favorable à son existence

(7) Une petite mer mais profonde, plutôt oligotrophe, coincée entre l’Europe et le continent africain, en déficit chronique d’eau lié à des apports par les fleuves et les pluies directes deux fois plus faibles que l’évaporation et donc très dépendantes de ses échanges à l’ouest avec l’Atlantique, etc.

(8) Le milieu marin est un fondement de notre identité et un extraordinaire allié pour notre développement sociétal. Dans la logique des solutions fondées sur la nature, la SNML doit entraîner les acteurs / parties prenantes à considérer la nature comme un partenaire, pour réduire voire éviter les conséquences de ses manifestations les plus problématiques (au lieu de lutter contre ces dernières).